Cabinet d’avocat
Droit des Sociétés, des Affaires & Immobilier

Barreau de Paris

Prescription bail commercial et LME


«  Les règles de la prescription biennale des actions exercées en vertu du Chapitre V du Titre IV du Livre Ier du Code de Commerce (c’est-à-dire du statut des baux commerciaux) fixée par l’article L 145-60 de ce code, à la lumière de la loi n°2008-776 du 4 Août 2008 dite de Modernisation de l’Economie. »

Très ambitieuse par l’ampleur et la diversité de ses dispositions, la Loi de Modernisation de l’Economie du 4 Août 2008, dite LME, a remanié un certain nombre de dispositions applicables au statut des baux commerciaux, et parmi elles, certaines dispositions nouvelles ont profondément modifié le régime de la prescription et de la forclusion applicables jusqu’alors à la matière.

L’article 45 de la loi LME a supprimé la référence à la forclusion des art L 145-9 et L 145-10 du Code de commerce, de sorte que les actions qui relevaient jusqu’alors du régime de la forclusion (action en contestation de congé et en paiement de l’indemnité d’éviction) relèvent désormais du régime de la prescription de l’article L 145-60 du Code de Commerce.

En conséquence de l’abrogation du régime de la forclusion par la LME,  il reste désormais aux actions fondées exclusivement sur le statut des baux commerciaux,  le seul régime de la prescription spéciale biennale.

Dans le cadre des présentes, nous limiterons notre étude au seul impact de la LME sur les règles de la prescription biennale de l’article L 145-60 du Code de Commerce applicable à toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux.

Cette question sera analysée sous deux angles successifs : d’une part du point de vue de la prescription biennale et l’impact de la LME sur les bénéficiaires et les actions, et d’autre part du point de vue des zones d’ombre et incertitudes occasionnées par la LME, source d’insécurité et de créativité juridique.

I –        La prescription biennale de l’article L 145-60 du Code de Commerce et l’impact de la LME sur les bénéficiaires et les actions visées par le statut :


1°)       La prescription biennale de l’article L 145-60 du Code de Commerce


A)  Définitions et Champ d’application :

La prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et selon les conditions légales.

L’art 2219 CCiv modifié donne désormais une définition de la prescription extinctive, à savoir le mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain temps.

La forclusion (ou délai préfix) était le temps à l’expiration duquel la déchéance est encourue. Elle sanctionne l’inaction de façon beaucoup plus rigoureuse que la prescription, par l’effet couperet de ses conséquences : extinction de l’action et du droit y attaché, sans  possibilité de suspension ou d’interruption.

Avant la LME, le délai de deux ans visait tout à la fois la prescription de l’art 145-60 du Code de Commerce ET la forclusion prévue aux articles L 145-9 et L 145-10 du Code de Commerce.

Depuis la LME, la suppression de la forclusion confère unicité à la prescription biennale : Toutes les actions exercées sur le fondement du statut relèvent de la prescription de deux ans spécifique aux baux commerciaux.

Pour autant, la condition d’application de la prescription biennale de l’article L 145-60 suppose que l’action à exercer relève bien du statut des baux commerciaux.

* Le domaine ainsi « réservé » à la prescription biennale vise toutes les actions nées spécifiquement du statut, et notamment :. les actions en fixation du loyer, de révision ou de renouvellement,

. les actions en fixation de l’indemnité d’éviction (depuis la suppression de la forclusion)

. l’action en paiement de l’indemnité d’occupation fondée sur l’article L 145-28,

. l’action en paiement des intérêts sur les loyers payés d’avance (au delà de deux termes de loyer),

. les actions en nullité d’une clause contraire au statut,

. les actions en résiliation pour violation d’une disposition expresse du statut,

. l’action en réajustement du loyer principal en cas de sous-location (art 145-31) si le loyer du sous-bail est    supérieur à celui du    bail principal,

. l’action en revendication de la formation d’un bail commercial à l’expiration d’un ou de plusieurs baux dérogatoires d’une durée totale de deux ans,

. l’action en nullité du congé du bailleur portant refus de renouvellement de bail, avec ou sans offre indemnité d’éviction,

. l’action du bailleur en nullité de la demande de renouvellement du preneur.

A contrario, sont exclues de la prescription biennale et relèvent donc de la prescription de droit commun ramenée à 5 ans (art 2224 du Code Civil modifié par la loi du 17 Juin 2008) les actions fondées sur le droit commun :

A titre d’exemple : l’action en résiliation pour infraction au bail ou aux dispositions du code civil, en violation d’une clause contraire au droit commun du contrat ; l’action fondée sur la violation du Code des débits de boissons au regard de la destination des lieux ; ou bien encore l’action en paiement d’une indemnité d’occupation de droit commun, non fondée sur une disposition du statut des baux commerciaux.

B) Mécanisme & Régime :

Le juge ne pouvant s’en saisir d’office, c’est à la partie qui s’en prévaut d’invoquer expressément la prescription.

La prescription court à compter d’un point de départ – jour de naissance de l’action – variable selon l’action concernée. On verra plus loin que ce point de départ n’est pas uniforme, et source de contestations.

Le mécanisme fait courir la prescription tant que celle-ci n’est pas atteinte par une cause d’interruption ou de suspension.

L’interruption de la prescription la fait redémarrer à zéro après (un nouveau délai de deux ans redémarre) ; tandis que la suspension interrompt la prescription mais la fait repartir après sans perte de l’antériorité du délai déjà couru.

C)  Les causes de suspension et d’interruption :

a) Cas de suspension :

* en principe la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux ou entre partenaires pacsés. Idem à l’encontre des mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle (sauf pour les actions en paiement ou en répétition notamment de loyers, charges locatives (art 2235 CCiv),

* Le litige préalable conditionnant la solution d’un autre litige :

ex : le litige sur le principe et l’étendue du droit au renouvellement suspend la prescription de l’action en fixation du prix du bail renouvelé.

ex : l’action en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire suspend l’action du bailleur en fixation du prix du bail révisé car il n’a  plus d’intérêt à agir si le bail est résilié.

ex : litige sur le principe de l’indemnité d’éviction (suppose contestation du droit du locataire à y prétendre) suspend l’action du bailleur en paiement de l’indemnité d’occupation.

* l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement légal ou conventionnel ou par force majeure (art 2234 CCiv),

* la demande de mesure d’instruction préalable à une action en justice (art 2239 CCiv), et plus précisément à compter du dépôt du rapport d’expertise.

* le recours à la médiation ou la conciliation (art 2238 CCiv), pour autant que la prescription puisse recommencer à courir pour une durée minimum de 6 mois à compter de la fin de la médiation ou de la conciliation

Après suspension, le délai de prescription continue, avec prise en compte du temps écoulé avant suspension.

Attention, dans les cas d’exclusion de la suspension, tels :

* l’action non encore aboutie en fixation du prix du bail renouvelé ou antérieurement révisé ne suspend pas l’action en fixation du prix du bail révisé,

* l’action en résiliation du bail ne suspend pas l’action en fixation du prix du bail renouvelé,

* l’action du locataire en nullité du congé ne suspend pas l’action du bailleur en fixation du prix du bail renouvelé,

* une mesure d’instruction donnée en référé concernant l’indemnité d’éviction ne suspend pas l’action du bailleur en fixation du l’indemnité d’occupation,

seule une veille attentive du délai d’expiration de la prescription et l’engagement d’une procédure permet d’interrompre régulièrement la prescription afin d’éviter que celle-ci ne continue de courir. 

b) Cas d’interruption :

* Outre les causes d’interruption de droit commun, telles que la demande en justice (art 2241 du Code Civil) au fond (jusqu’à la fin de l’instance) ou en référé,  même nulle pour vice de procédure (ex : assignation par le bailleur en demande de fixation de loyer sans mémoire préalable) ; la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait (art 2240 C.Civ) ; le commandement ou la saisie procédant d’une titre exécutoire (art 2244 C.Civ) ; il existe également des causes d’interruption spécifiques au bail commercial telles que :

* la notification (en RAR) du mémoire de l’article 33 du Décret du 30 Septembre 1953, toujours en vigueur  (seul article du Décret non abrogé ni codifié), dans les actions en fixation du prix du bail renouvelé ou révisé,

* l’assignation en validation d’un congé portant refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction (constitue la reconnaissance par le bailleur du droit au renouvellement du bail commercial).

Mais ne sont interruptifs de la prescription : ni la saisine de la Commission départementale de conciliation en matière de litige portant sur le loyer de renouvellement du bail ; ni un commandement précédent une action en révision de loyer, ni le mémoire en réponse effectué par simple lettre et non en RAR.

L’interruption ayant pour effet de réduire à néant le délai déjà couru, un nouveau délai de prescription de 2 ans court à compter de l’acte interruptif ou de la cessation de ses effets.

D) Les Effets de la prescription :

La sanction de la prescription consiste dans l’extinction du droit d’agir (de l’action et du droit y afférent) de l’intéressé, et conduit, par voie de conséquence, à l’irrecevabilité de toute procédure engagée hors délai.

Cette sanction peut s’avérer particulièrement lourde pour les intéressés, ainsi, lorsque l’action est prescrite :

* En matière de révision du loyer : la demande de révision précédente est caduque. Il appartient donc à la partie intéressée de réitérer le plus vite possible en formant une nouvelle demande de révision.

* En matière de renouvellement : le bailleur prescrit de son action en fixation du loyer de renouvellement verra le bail renouvelé aux clauses et conditions identiques de celles du bail d’origine, et notamment son loyer maintenu au prix en vigueur au jour de son expiration.

* En matière de fixation d’indemnité d’occupation de l’article L 145-8 du C.Com : l’acquisition de la prescription éteint le droit du bailleur à demander une indemnité d’occupation.

* En matière de contestation de congé et fixation de l’indemnité d’éviction : le Preneur perd les droits qu’il détenait du statut des baux commerciaux. Il devient rétroactivement occupant sans droit ni titre depuis la date d’expiration du bail, et expulsable.  Il devient en outre débiteur d’une indemnité d’occupation de droit commun.

* En matière d’action en réajustement de loyer : Le Bailleur perd son droit à demander la réajustement de loyer pour sous-location (art L 145-31).

2°)       L’impact de la LME sur la prescription : De nouveaux bénéficiaires et de nouveaux champs d’actions


A)  Les nouveaux bénéficiaires : de plein droit, volontaires ou involontaires :

a) Pluralité de preneurs, succession et immatriculation au RCS :

Même en l’absence d’immatriculation personnelle des non exploitants, suite à l’insertion d’un 3ème alinéa à l’article L 145-1 du C.Com :

*  L’exploitant du fonds de commerce ou du fonds artisanal, et ce (nouveauté)  même en l’absence d’immatriculation de ses copreneurs ou indivisaires non exploitants,

*  les héritiers ou ayant droit d’un titulaire de bail commercial, même non exploitants, pourront demander le maintien de l’immatriculation de leur ayant-cause, pour les besoins de la succession, et, bien que dispensés eux-mêmes de toute immatriculation au RCS ou au RM, pourront bénéficier du régime de la prescription, sans que le bailleur ne puisse leur opposer un défaut d’immatriculation pour refuser le renouvellement du bail. Ou comment le bailleur devra suivre attentivement l’état de santé de son locataire personne physique avant de signifier un refus de renouvellement ou dénier le bénéfice du statut à des successeurs inconnus jusqu’au décès du commerçant immatriculé….

Précision faite toutefois, qu’en cas de démembrement de propriété du droit au bail, nupropriétaire et usufuitier, comme par le passé, devront tous deux être immatriculés pour pouvoir bénéficier du droit au renouvellement du bail. Il en reste de même pour les coexploitants.

b) Les microentreprises :

Même si d’emblée, le bail commercial ne semble pas être la priorité des microentreprises, celles-ci – visées par le régime du microsocial créé par la LME, exploitants bien qu’expressément dispensés de toute immatriculation au RCS ou au RM -, peuvent avoir accès ab initio au statut des baux commerciaux. Leur droit au renouvellement dépendra toutefois de leur immatriculation au plus tard au moment du renouvellement du bail.  Des projets visent déjà à facilliter – en la rendant gratuite – l’immatriculation au Répertoire des Métiers des autoentrepreneurs concernés. On ne saurait trop conseiller à l’autoentrepreneur dépassant les seuils légaux de chiffre d’affaires le dispensant d’immatriculation mais souhaitant pérenniser sa situation locative, de s’immatriculer au RCS ou au RM selon le cas, de manière à contrer tout refus de renouvellement du bail sur ce point.

En dehors de ces hypothèses, on peut également imaginer le cas du bailleur ayant initialement donné à bail ses locaux à un autoentrepreneur dans le cadre d’un bail dérogatoire ou de plusieurs baux dérogatoires successifs, mais ayant laissé ce locataire en possession au-delà du délai de deux ans, ce qui lui conférera désormais, à l’issue de ces deux ans, le bénéfice du statut des baux commerciaux. Le dépassement par l’autoentrepreneur des seuils légaux de chiffres d’affaires ainsi que son immatriculation effective compliqueront également la situation d’un bailleur pouvant être interdit de baux commerciaux aux termes du règlement de copropriété de l’immeuble…

Toutefois il est encore un peu tôt pour se prononcer au regard d’une application mise en place depuis début 2009 seulement.

c) L’adoption volontaire du statut par les professionnels :

Avec accord du bailleur, lespreneurs professionnels (libéraux par exemple) peuvent désormais faire adoption volontaire du régime des baux commerciaux et bénéficier ainsi de la prescription biennale spécifique de l’art 145-60 (cf nouveau 7èmt de l’art L 145-2 modifié). Toutefois cette adoption volontaire et sans équivoque du statut, ouverte par la LME fera désormais échec à leur possibilité de conserver le bénéfice de l’article 57 A de la loi de 23/12/2006  (droit de donner congé à tout moment, spécifique aux baux professionnels).

On peut saluer cette nouvelle possibilité offerte par la LME aux preneurs professionnels leur permettant ainsi de pérenniser leur stabilité géographique dès lors qu’elle conditionne l’exploitation de leur activité. Cette stabilité géographique pouvant s’avérer bénéfique tant pour le bailleur – qui ne risquera plus de voir son locataire lui donner congé à tout moment -, que pour le preneur – qui tiendra d’autant plus à conserver sa clientèle locale qu’il aura engagé des investissements importants dans le local. Cette faculté de choix devrait permettre de mettre un terme aux anciens montages hasardeux consistant à signer un bail professionnel suivi de la signature d’un bail commercial avec clause de renonciation éclairée au statut de l’art 57 A de la loi de 2006.

B)  Les nouveaux champs d’actions ouverts par la LME :

a)  Les situations relevant de l’ancien régime de la forclusion supprimé :

Même si la doctrine avait de longue date soulignée l’anomalie, la suppression officielle de la sanction de la forclusion de l’article L 145-9 et L 145-10 du Code de Commerce (pour défaut d’action en contestation d’un congé ou pour demander le paiement d’une indemnité d’éviction) ouvre de nouvelles perspectives au locataire peu diligent, ou oublieux des délais pour agir.

En supprimant officiellement le régime de la forclusion qui sanctionnait rigoureusement l’inaction du locataire en le privant définitivement de son action et du droit y attaché, la LME lui offre des possibilités de rattrapage, en ouvrant la porte aux possibilités de suspension et surtout d’interruption spécifiques à la prescription.

Echappant désormais au couperet de la forclusion, le locataire évite désormais la déchéance de son droit à indemnité d’éviction, dès lors qu’il reste toutefois dans les délais de la prescription biennale.  Il a dès lors intérêt à trouver ou mettre en œuvre une cause d’interruption afin de préserver ses droits même tardifs, et signifier ainsi prestement une assignation en paiement de l’indemnité d’éviction, voire toute autre citation, même devant un juge incompétent, ou même entâchée d’un vice de procédure…

Ceci ne manquerait pas d’entraîner une insécurité pour le bailleur, d’ajourner encore ses possibilités de reprise du local, voire d’amoindrir ses chances de relocation rapide à un tiers à meilleur coût.

b) Le renouvellement des baux dérogatoires :

La loi LME offre désormais la possibilité (art L 145-5) de conclure plusieurs baux dérogatoires dans la limite du délai total de deux ans ; au-delà de cette durée, le régime des baux commerciaux s’applique au preneur laissé en possession.

Au-delà du cas de l’autoentrepreneur envisagé ci-avant, la prescription de l’art L 145-60 bénéficiera précisément (cf article L 145-5) à l’issue d’un ou plusieurs baux dérogatoires, à tout locataire laissé en possession par le bailleur au-delà de la durée totale de deux ans, ce maintien en possession opérant de fait  un bail commercial soumis au statut.

Réserve faite des contrats en cours auxquels la LME nouvelle ne devrait pas s’appliquer, le bailleur désireux d’une souplesse locative, et souhaitant ni conférer la propriété commerciale ni le droit au renouvellement à son locataire, devra veiller à ne pas dépasser le délai de deux ans de l’art L 145-5 modifié de manière à ne pas  ouvrir au locataire le statut des baux commerciaux et la prescription de l’art  L145-60. Plus, il devra même le sommer de quitter les lieux et ne pas le laisser en possession, sauf au contraire, à vouloir l’enfermer dans le statut.

Inversement, le locataire devra rester vigilant au sort de son contrat, avant l’expiration du délai de deux ans, afin de prendre ses dispositions et organiser éventuellement son départ en conséquence.

De part et d’autre, une veille vigilante des délais s’impose désormais de façon accrue.

II –  Les zones d’ombre et les incertitudes maintenues ou occasionnées par la LME, source d’insécurité et de créativité juridique..


Différents éléments perturbateurs de la prescription viennent gêner son apparente lisibilité :

1°)       Les contestations liées au point de départ de la prescription, jour de naissance de l’action


L’article L 145-60 du Code de Commerce fixe bien un délai uniforme de 2 ans pour toute les actions exercées en vertu d’un bail commercial, mais reste muet, même après la LME, sur le point de départ de cette prescription, ce qui laisse libre cours à une diversité d’interprétation.

Le point de départ retenu par l’article 2224 du Code civil visant la prescription quinquennale, à savoir la connaissance des faits par le titulaire du droit ou la connaissance qu’il aurait dû en avoir .. est parfaitement subjectif, et donc source d’insécurité juridique.

Le silence de la loi sur ce point de départ n’est pas nouveau, et continue d’alimenter les contestations, sans répondre aux objectifs de clarification annoncés.

De fait, compte tenu de la diversité des actions soumises à la prescription biennale, et du silence de la loi, il est difficile de faire ressortir une solution unique. Force est de constater qu’il faut donc tempérer selon les situations, et que cette casuistique factuelle s’oppose de fait à l’unicité de délai de prescription prônée à l’article L 145-60.

Ainsi, après plusieurs hésitations, la Cour de Cassation a considéré par exemple :

* Que pour une demande de révision de loyer : le point de départ de la prescription est la date d’expédition de la lettre contenant demande de révision par le bailleur.

* Qu’en matière de congé, le point de départ de la prescription est la date d’effet du congé (et non celle du congé).

* Que pour le congé avec offre de renouvellement : le point de départ de la prescription de l’action en fixation du loyer du  bail renouvelé est la date d’effet du renouvellement ;

* Qu’en cas de demande de renouvellement du bail par le preneur , il faut distinguer selon que le nouveau bail prend effet avant ou après l’accord des parties sur le principe de renouvellement : Le point de départ de la prescription serait la date d’effet du nouveau bail (en cas d’acceptation du bailleur antérieure à la date d’effet du nouveau bail),  et la date de l’acceptation de principe du bailleur (la date d’expiration délai de 3 mois prévu à l’art L 145-10) lorsque l’acceptation du bailleur serait postérieure à la date d’effet du nouveau bail.

* Qu’en cas de refus de renouvellement : le point de départ de la prescription de l’action en paiement de l’indemnité d’éviction est la date d’effet du congé (art L 145-9), ou, après une demande de renouvellement, la date de la réponse portant refus de renouvellement (art L 145-10) ; ces deux cas s’inscrivant, depuis la LME, dans le cadre du nouveau bénéfice de la prescription remplaçant l’ancienne forclusion.

* Que pour une action en fixation d’une indemnité d’occupation de l’article L 145-28 (au titre du droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction) et qui suppose un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction : le point de départ de la prescription est la date d’expiration du bail (en l’absence de contestation du droit à l’indemnité d’éviction) ou le jour où est définitivement consacré le droit du preneur à l’indemnité d’éviction.

Tout ceci, hors solutions relatives en outre à la faculté pour le preneur d’exercer son droit d’option (art L 145-57) ou à la possibilité pour le bailleur d’exercer son droit de repentir (art L 145-8) lesquelles occasionnent encore une appréciation minutieuse des délais.

* Que pour une action en redressement du loyer principal en cas de sous-location : le point de départ de la prescription est la connaissance par le bailleur du prix de sous-location.

De son côté, le sous-locataire considérant le délai de la prescription biennale spécifique aux baux commerciaux particulièrement court, pourra avoir intérêt à contester son point de départ, en alléguant que la prescription ne commence qu’au jour où il a acquis son droit : Ainsi le sous-locataire pourrait invoquer cet argument à l’appui d’une demande en revendication du bénéfice du bail commercial, au titre de son droit direct contre le bailleur.

Pour une action en nullité d’une clause du bail contraire au statut des baux commerciaux : le point de départ de la prescription serait la date de signature du bail initial ou la date d’acceptation par le preneur de l’offre de renouvellement. Mais en cas de moyen de défense (exception de nullité dans le cadre d’une demande reconventionnelle) le défendeur pourra en principe agir à tout moment, et ce, même si la prescription est expirée.

Autant d’exemples qui témoignent de la complexité de l’application du point de départ de la prescription biennale unique aux baux commerciaux, compte tenu de la diversité des actions et situations concernées.

2°)       La règle du trimestre civil en réponse à l’abandon de la référence aux usages locaux


La suppression de la référence aux « usages locaux » au profit de la règle du trimestre civil, et la modification correspondante apparaît aux termes des dispositions des articlesL 145-8, 145-9 et L 145-12 du Code de Commerce.

Ceci constitue une réelle avancée souhaitée et offerte par la LME afin de mettre un terme à la diversité des usages locaux précédemment usités, très disparates, souvent méconnus, et qui conduisait à une inégalité de traitement et de délais selon la localisation géographique du bail commercial concerné.

Mais est-ce aussi simple qu’il y paraît ?

On relève en théorie un certain nombre de situations dans lesquelles l’application de la seule règle du trimestre civil entraîne des distorsions de date :

* En matière de renouvellement, on doit distinguer en effet selon que le congé ou la demande de renouvellement ont été signifiés pour le terme du bail  ou en cas de tacite reconduction :

Dans le 1er cas (pour le terme du bail) :

Si la date d’expiration contractuelle du bail correspond au dernier jour du trimestre civil :

=> le congé sera valablement signifié 6 mois à l’avance pour la date d’expiration du contrat,

=> La demande de renouvellement pourra être signifiée 6 mois avant la date d’expiration contractuelle.

Si la date d’expiration contractuelle du bail est distincte de celle du trimestre civil :

=> le congé sera valablement signifié 6 mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil qui suit la date contractuelle d’expiration du contrat OU pour le terme du bail. Par précaution le bailleur sera avisé de donner congé pour la date anniversaire du contrat et en tant que de besoin, pour le dernier jour du trimestre civil dans le cas où il serait jugé que le congé doit intervenir à la fin du trimestre.

=> la demande de renouvellement n’est pas visée par les art L 145-9,10 et 12 du Code de Commerce, mais l’on peut supposer que le preneur signifiera valablement en temps utile pour la date contractuelle d’expiration du contrat, et provoquer ainsi dès le lendemain, le renouvellement du bail, même si celui-ci ne correspond pas à une échéance de trimestre civil, mais la question reste ouverte.

Dans le 2nd cas (tacite prolongation), situation particulièrement visée aux articles L 145-8, L 145-9 et L 145-12 , il s’agit de la période démarrant le lendemain de l’expiration du terme fixé par le bail, en l’absence de congé signifié par le bailleur ou de demande de renouvellement signifiée à l’initiative du preneur; la question étant de savoir, pour quelle date le bail peut prendre fin à l’initiative de l’une ou l’autre des parties.

Désormais, en cette période de tacite prolongation du bail commercial, le congé peut être délivré, à tout moment, pour le dernier jour du trimestre civil (à savoir le 31/12, le 31/03, le 30/06 ou le 30/09) sans plus faire référence aux anciens « usages locaux », et moyennant un préavis d’au moins six mois.

* En matière de résiliation triennale : le congé sera-t-il valablement délivré pour la date d’expiration triennale contractuelle, ou pour la date du trimestre civil ?  L’on peut considérer que la date du dernier jour du trimestre civil paraît s’imposer dans la mesure où l’art L 145-4 vise les formes et délai de l’article L 145-9, et ce, même si le terme contractuel de la période triennale ne correspond pas au dernier jour du trimestre civil. Mais le locataire « en partance » et prudent, ne voulant pas risquer d’avoir à prendre en charge les loyers de la période triennale suivante serait-il avisé de faire délivrer deux congés correspondant chacun à l’une des dates susvisées ?

Des réponses à ces questions dépend la validité des congés, et par voie de conséquence, le sort de l’action en contestation de la date d’effet du congé sanctionnée par la prescription biennale.

*  Enfin en pratique, les congés étant délivrés valablement exclusivement par voie d’huissier, il semble qu’il faille en outre compter avec la position de la Chambre Nationale des Huissiers de Justice, qui semblerait, sauf erreur, ne considérer désormais que  la seule échéance du dernier jour du trimestre civil.

3°)    Les aménagements conventionnels, initiaux et en cours de bail :  Une réponse à l’absence de caractère d’ordre public de l’article L 145-60 du C.Com visé par l’article L 145-15 du C.Com.


A)           Dans la mesure où les dispositions de l’article L 145-60 ne sont pas d’ordre public, les parties peuvent déroger conventionnellement au régime de la prescription biennale et aux délais, le tout encadré dans une fourchette de un à dix ans (art 2254 C Civ), avec exclusion des actions relevant de l’ancien art 2277 du Code Civil.

Ainsi, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une action expressément exclue (par exemple les actions en paiement de loyers et charges locatives), rien n’empêche les parties de prévoir que le délai de prescription sera conventionnellement réduit à un an, ou d’aménager conventionnellement cette prescription au profit d’une seule partie, ce qui obligera nécessairement les parties à se positionner très rapidement, et sanctionnera derechef les actions irrecevables pour cause de prescription après un an, sauf cause de suspension ou interruption.

Les parties sont libres également de convenir d’ajouter aux causes de suspension ou d’interruption prévues par la loi.

Est-ce souhaitable compte tenu de la nécessaire réactivité économique inhérente au droit des affaires, ou non, compte tenu du déséquilibre probable que risquent d’engendrer ces aménagements conventionnels ? Dans les deux cas il faut souhaiter que les parties sauront s’entourer de conseils avisés avant toute signature de contrat.

Dès lors, l’on abandonnera l’unicité de prescription annoncée à l’article L 145-60 du Code de Commerce, et seule une lecture avertie du bail et de ses avenants éventuels permettra de fixer la loi des parties, et par voie de conséquence, celle à appliquer par les tribunaux.

La casuistique jurisprudentielle à venir nous éclairera sur la pratique prudente à adopter.

B)            Par ailleurs, on connaissait déjà les possibilités conventionnelles, notamment dans les baux dits « américains » en centres commerciaux, galeries marchandes principalement, de déroger à certaines dispositions du statut,  par exemple en matière de durée du bail, en prévoyant notamment la renonciation à la faculté de donner congé à l’issue de la première période triennale, conférant ainsi au bail une durée ferme de six ans, voire plus.

Dans les véritables contrats « d’adhésion » dans lesquels la seule liberté du preneur est celle de ne pas contracter, l’introduction progressive de clauses de médiation et de conciliation – suspensives de prescription -, mais élargies, aménageant les cas de recours, l’obligation de leur mise en œuvre préalable à tout contentieux (et non pas uniquement limité au litige portant sur le loyer de renouvellement) et des délais dont la combinaison ou la succession limiteraient de fait considérablement la mise en œuvre de l’action, peuvent tenter certains : soit à l’occasion de la conclusion du bail initial, soit notamment à l’occasion d’avenant de renouvellement ou de modification de clause d’indexation ou de tout autre clause. On pourrait se demander si l’introduction de telles clauses, visant aussi à cibler notamment tous modes et tentatives de négociation non déjà prévus par les modes légaux de règlement alternatif des litiges, ne tendraient pas, par leur complexité de mise en œuvre, à décourager de fait certains d’agir et d’accepter leur sort. Leur rédaction se devrait alors d’être suffisamment fine pour ne pas risquer la qualification de clause abusive.

Avec la LME, d’autres domaines s’ouvrent aux aménagements contractuels pouvant impacter la prescription biennale :

* Avec la légalisation par la LME d’un nouvel indice de référence applicable à la révision du loyer des baux commerciaux, à savoir la création de l’Indice des Loyers Commerciaux (I.L.C) -, et bientôt l’Indice des Loyers des Activités Tertiaires (I.L.AT),  il est possible – sous certaines conditions d’activités seulement – de choisir dès la conclusion du contrat ou à l’occasion d’un avenant de renouvellement, d’indexer le loyer sur l’I.L.C en lieu et place de  l’I.C.C.

Son introduction lors du renouvellement du bail et dans certaines circonstances pourrait-elle être utilisée par le bailleur comme motif de déplafonnement du loyer ? ceci ouvre d’autres perspectives de créativité juridique..

On peut imaginer la tentation, selon les circonstances, de glisser ce type d’aménagement contractuel à l’occasion d’une autorisation de sous-location, de l’autorisation d’exercice d’une activité supplémentaire., ou bien encore en contrepartie d’un alourdissement des obligations contractuelles.  En celà – et réserve faite des difficultés de mise en œuvre pour les baux en cours et de l’aléa économique inhérent aux variations des indices –  l’introduction de l’ILC pourrait être utilisée comme cheval de troie ou comme contrepartie à  tout autre aménagement contractuel de la prescription visant à réduire de fait l’utilisation par la partie adverse du délai de prescription. Bref, la loi sera celle de l’offre et de la demande, et plus sûrement, celle du mieux conseillé…

Conclusion

Malgré la réforme de la prescription (Loi du 17 Juin 2008) ayant profondément modifié les délais de prescription civile de droit commun et réduit globalement leur nombre, la coexistence du maintien de deux délais distincts de prescription applicables à la matière : celui de droit commun de 5 ans (art 2224 & s C.Civ) et celui spécial de 2 ans (art L 145-60 C.Com) spécifique aux baux commerciaux est de nature à maintenir les incertitudes.

Malgré la volonté d’unicité de prescription autour de l’article L 145-60 du Code de Commerce, la loi de modernisation de l’économie, ambitieuse dans son étendue, a créé des zones d’ombre dont sauront s’emparer certains, au bénéfice de leurs intérêts.

Autant d’aléas qui peuvent nuire aux exigences de sécurité économique de la vie des affaires et de l’objectif protecteur du statut, permettant notamment au locataire de se positionner rapidement afin de pérenniser son local et consolider ainsi son fonds de commerce.

Gageons que la jurisprudence saura apporter son concours à la sécurité juridique des baux commerciaux, et que les solutions  dégagées, faute de pouvoir  être suivies de façon certaine…, plus probablement, alimenteront la matière des prochains groupes de travail législatifs…